LITHORAMA

Volcanologie et volcanisme

La volcanologie et le volcanisme

Luc Vandenberghe

 

Plus de 200 fois au cours des temps historiques, on a vu des volcans entrer en éruption, provoquant la panique et causant de nombreuses pertes en vies humaines. Cependant peu d'écrits sont arrivés jusqu'à nous : une légende égyptienne rapportée par Platon qui relatait la destruction de l'Atlantide qui serait située sur l'ile de Théra (Santorin) et dont les terribles vestiges de destruction se retrouvent sur les côtes de la Crête. Il existe également la lettre de Pline Le Jeune écrite à Tacite relatant l'éruption du Vésuve et la mort de son oncle en l'an 79.

Cependant aucun texte n'apportait d'explication valable sur le fonctionnement de ces montagnes qui crachent le feu et la roche fondue. Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que les savants s'intéressent aux roches volcaniques et aux volcans.  Cependant leurs progrès furent laborieux et ce n'est qu'au début du XXème siècle que la volcanologie se plaça au niveau de la vraie science.

Toute science a son histoire. Nous vous proposons, ici, de découvrir l'histoire de la volcanologie, de découvrir les caractéristiques des roches volcaniques, qui ont un rôle important dans le dynamisme des éruptions et enfin de d'étudier les différents types de dynamismes présentés les volcans terrestres.

La volcanologie est, bien entendu liée à d'autres phénomènes géologiques tels que la dérive des continents et les tremblements de terre.  Il ne sera  fait mention de ceux-ci qu'exceptionnellement afin de ne pas alourdir encore un texte déjà très long. Cette petite étude se terminera cependant par une explication des phénomènes géologiques généralement associés au volcanisme.

La bibliographie figurera en fin de travail.

La volcanologie

Légendes et histoire.

Dans les temps anciens les volcans étaient habités par des démons ou des dieux, et certains pensent qu'il en est toujours ainsi ; c'étaient les colères de ses habitants qui produisaient les éruptions… On comprend donc facilement que la volcanologie ait connu plus de difficultés que d'autres sciences à sortir du monde irrationnel. La destruction de Pompéi et Herculanum au cours de l'éruption du Vésuve en l'an 79, eut un grand retentissement dans le monde antique. La description objective qu'en fit Pline le Jeune est le premier écrit utilisable en volcanologie. Cependant les idées n'ont guère progressé jusqu'au milieu du XVIIIème siècle.

Pourtant les volcans n'ont pas ce rôle maléfique. Si leurs déchaînements furieux sont la parfaite illustration de phénomènes peu prévisibles de la nature, ils n'en remplissent pas moins une fonction vitale en préservant sur notre planète un environnement nourricier stable. Les hommes de science pensent que notre atmosphère et nos océans se sont formés graduellement au cours de milliards d'années à partir d'une nébuleuse primitive. Les volcans, ces évents communiquant avec l'intérieur de la terre, joueraient un rôle déterminant dans la continuation de ce processus. De fait, des recherches ont montré que les éléments entrant dans la composition de l'air et de l'eau sur notre planète de trouvent généralement dans les mêmes proportions au sein de la vapeur émise par les volcans.

Même les épaisses couches de cendres qui étouffent la terre tout autour d'un volcan en éruption jouent en fin de compte un rôle bénéfique. Les particules vitreuses et stériles qu'elles contiennent se décomposent en libérant des substances nutritives essentielles, telles que le potassium et le phosphore, et ainsi se créent, sur des paysages de désolation, des sols d'une incomparable fertilité. Sous le sol arable, une grande partie des roches dures formant la croûte terrestre a pour origine la lave issue d'anciens volcans dont les plus étonnant sont ceux qui s'étirent sur des dizaines de milliers de kilomètres au fond des mers et qui, silencieusement et sans relâche, produisent chaque jour des millions de tonnes de croûte nouvelle, formant ainsi une immense marqueterie faite de continents et de fonds marins qui se déplacent lentement.

Il existe aujourd'hui dans le monde plus de six cents volcans en activité qui, pour la plupart, s'égrènent en arc de feu le long des lignes de contact entre les différentes portions de l'écorce terrestre que l'on appelle plaques tectoniques. L'Insulinde, située sur l'une de ces lignes, en compte plus de cent et la chaîne côtière à la jonction de l'Amérique du Nord et de la plaque du Pacifique est l'une des régions les plus volcaniques du monde ; une douzaine de volcans y sont entrés en éruption depuis le début des temps historiques.

Cependant, un grands nombre de volcans autrefois très actifs sont aujourd'hui « endormis ».

Pendant des siècles, les hommes ont habité des régions volcaniques sans se douter que les montagnes verdoyantes qu'ils voyaient avaient été un jour des fontaines de feu ni que le sol fertile sur lequel poussaient leurs récoltes s'était constitué à une époque reculée à la suite d'abondantes chutes de cendres. Les philosophes et naturaliste de la Grèce et de la Rome antiques s'étaient bien douté que nombre de particularités de la surface terrestre s'expliquaient par une origine volcanique, mais cette connaissance s'était perdue au cours du long millénaire séparant la chute de Rome et l'avènement de la science moderne.

Quand, vers la fin de cette époque obscure, on s'est à nouveau intéressé aux origines de la terre, l'opinion qui a prévalu presque partout était que la forme et la composition de la surface de la terre résultaient du Déluge dont parle la Genèse ou alors qu'elles avaient été déterminées par l'océan primordial qui, d'après la Bible, recouvrait toute la terre au deuxième jour de la Création. Beaucoup d'arguments militaient en faveur de ces hypothèses ; non seulement elles expliquaient certains paradoxes tels que la présence de fossiles marins sur les Alpes, à des centaines de kilomètres de la mer, mais elles concordaient avec les enseignements prodigués par le trop puissant clergé de l'époque.

L'existence de roches sédimentaires était parfaitement en accord avec elles. Le volcanisme demeurait cependant un mystère, paraissant défier le récit de la Bible. Il y eut une tentative hardie pour concilier les deux. Son auteur, le français Benoist de Maillet (1656-1738), dans un ouvrage posthume publié en 1716, intitulé « Telliamed » (anagramme de son nom) ou « Entretiens d'un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer, la formation de la terre, l'origine de l'homme », soutint que le volcanisme découlait de la combustion « des huiles et des graisses d'animaux et des poissons concentrés en certains endroits » au sein des sédiments qui s'étaient déposés à l'époque du Déluge. Il prédisait sombrement qu'un jour viendrait où la terre tout entière se consumerait en une grande boule de feu.

                                             

Benoist de Maillet et son travail                      

Dans un traité rédigé vers la même époque en 1740, « De' Crostacei e degli altri Marini Corpi »,  l'italien Antonio-Lazzaro Moro (1687-1764) avançait que toutes les terres émergées avaient été vomies dans l'océan universel par un certain nombre de volcans gigantesques. Chose remarquable, il réussit à faire franchir à son audacieuse théorie le contrôle d'une censure ecclésiastique sourcilleuse, mais au prix de tant de concessions à la version de la Bible que ce qui en restait n'avait plus qu'une valeur scientifique douteuse. C'est ainsi que, pour expliquer l'origine du feu volcanique, il ne trouva rien d'autre à dire que « Dieu l'a voulu ».

Le travail d'Antonio-Lazzaro Moro

La théorie de l'océan primordial demeura incontestée jusque vers la fin du XVIIIème siècle. Certes les volcans méditerranéens tels que l'Etna, en Sicile, et le Vésuve dominant la baie de Naples, continuaient à donner des signes d'activité spectaculaires, mais dans l'optique étroite des sommités de l'époque, les volcans et les matières qu'ils éjectaient étaient de simples phénomènes occupant une place sans importance dans l'ordre de la nature. C'est l'opinion qui prévalut jusqu'en 1751, date à laquelle un français à l'esprit curieux qui se trouvait en vacances dans le centre de la France fit la première d'une étonnante série de découvertes concernant le passé cataclysmique de notre planète.

Jean-Etienne Guettard (1715 – 1786) était le petit-fils d'un apothicaire de village. De ses longues randonnées dans la campagne qu'il effectuait enfant, pour rapporter les plantes et les herbes dont son grand-père avait besoin pour l'exercice de sa profession, il avait acquis une connaissance approfondie de l'histoire naturelle. Il avait observé avec beaucoup d'intérêt au cours de ses expéditions que la répartition des plantes dans la nature coïncidait avec celle de certains minéraux dans le sol. Poussé par sa soif de connaissance, il fit des études de médecine, mais il gardait une passion dévorante pour les sciences naturelles, et il ne tarda pas à entrer au service du duc d'Orléans en qualité de conservateur de l'importante collection d'histoire naturelle que possédait ce grand personnage.

 

Avant lui, de grands savants s'étaient attachés à élaborer de vastes théories de la nature mais, à cause du peu d'informations authentiques dont on disposait sur la manière dont la nature fonctionne réellement, ces théories pouvaient difficilement être prouvées. Aristote enseignait que la théorie doit s'appuyer sur l'observation des faits, mais ses propres opinions, par exemple son idée sur le volcanisme s'apparente aux convulsions provoquées par la maladie chez l'homme, n'ont reposé pendant des siècles que sur des preuves les plus fragiles. Guettard fut l'un des premiers à n'accepter que les conclusions qu'il pouvait vérifier par ses observations. Il avait fait de nombreuses études sur le terrain dans toute la France pour identifier la nature des roches qui affleurent à la surface et avait fini par dresser l'une des toutes premières cartes géologiques.

Mais ses travaux les plus remarquables furent accomplis lors de son voyage de 1751 qui débuta plutôt comme une promenade sans but défini que comme une enquête scientifique. Accompagné de son ami, l'avocat Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, il se mit en route avec l'intention d'aller prendre les eaux de Vichy puis de visiter le Puy-de-Dôme.

En passant par Moulins, Malesherbes signala à son ami une curieuse pierre noire qui servait de borne de la route. Guettard, qui avait eu entre les mains des échantillons de roches provenant du Vésuve et de l'Etna, vit immédiatement qu'il s'agissait d'un morceau de lave. Poursuivant leur voyage, les deux amis constatèrent que ce même matériau avait servi à la construction d'un grand nombre de maisons. Il devenait alors improbable que tant de pierres avaient pu être transportées jusqu'en France à partir du Vésuve, le plus proche des volcans connus. L'idée jaillit alors dans l'esprit de Guettard que des volcans actifs avaient probablement existé dans la région à une certaine époque.

Il se renseigna et apprit que les pierres noires utilisées dans la construction locale provenaient de carrières d'un village appelé Volvic. Le nom le frappa et il pensa immédiatement qu'il s'agissait sans doute de la contraction du latin Volcani vicus signifiant « village volcanique ».

Les deux amis allèrent ensuite se reposer à Vichy, mais ils ne cessaient de songer à ce village volcanique, d'autant qu'ils avaient remarqué que la pompe des bains de Vichy était logée dans un bâtiment construit avec la même pierre noire. En quittant la ville, ils prirent la direction du Puy-de-Dôme et leur excitation grandissait à chaque pas. A Riom, ils eurent le loisir de constater que toutes les maisons de la ville étaient faites de ce même matériau.

On leur signala que Volvic se trouvait à six kilomètres et ils s'y rendirent sans plus tarder, allant directement à la carrière. Là, Guettard vit que son instinct ne l'avait pas trompé. Il reconnu la couche géologique qui affleurait, et d'où provenaient les pierres de construction noires, une coulée de lave solidifiée semblant provenir de la haute crête granitique qu'il apercevait à quelque distance.

Derrière cette crête s'élevait une colline dont les versants symétriques et la cime tronquée étaient ceux d'un cône volcanique typique. Sous ces pas, tandis qu'il gravissait la pente, Guettard remarqua parmi les blocs de lave des ponces rouges et noires dont la structure vacuolaire dénotait, il le savait, l'origine volcanique. A la lumière de ses précédentes observations sur cette lave noire partout visible, la géologie du paysage environnant devenait parfaitement claire. Cette levée de terre en arc de cercle qu'il voyait au sommet de la colline, c'était le bord écroulé d'un ancien cratère. Cette cuvette tapissée d'herbes qui se creusait devant lui, et où paissaient des vaches, c'était le fond du cratère. Derrière lui, ces vallonnements sinueux couverts de végétation et coupés de ravins où coulaient des ruisseaux indiquaient le chemin suivi par les coulées de lave.

De retour à la carrière, Guettard examina la lave à l'endroit où les tailleurs de pierre l'avaient mise à nu. Il y vit, en coupe, légèrement inclinées, plusieurs épaisseurs séparées les une des autres par des couches d'argile, de sable ou de terre végétale, et il conclut qu'il y avait eu sans doute dans un passé lointain plusieurs éruptions séparées par des intervalles plus ou moins longs au cours desquels les sédiments s'étaient accumulés.

A leur arrivée à Clermont-Ferrand, Guettard et Malesherbes s'assurèrent les services d'un naturaliste qui accepta de leur servir de guide. Les trois hommes escaladèrent le Puy-de-Dôme et constatèrent que toute la région environnante était constellée par ces collines tronconiques qui caractérisent le paysage volcanique. Le naturaliste, qui avait passé des années à étudier ce terrain, fut stupéfait de s'apercevoir qu'il n'en avait jamais réellement compris la nature.

Or Guettard ne faisait que découvrir de nouveau un savoir extrêmement ancien, mais qui s'était probablement perdu dans le courant du Moyen Age. Les romains qui, 1700 ans auparavant, étaient implantés dans cette région savaient, sans aucun doute, à quoi s'en tenir puisqu'ils avaient donné le nom de Volvic au village où se trouve la carrière. Et les hommes qui habitaient cette région avant eux avaient certainement connu son activité volcanique puisque, comme cela a été établi par la datation au carbone 14 des restes de chênes pris dans la lave, la dernière éruption survenue en Auvergne remonte à six mille ans, c'est-à-dire à l'apogée de la culture européenne du Mésolithique.

Mais Guettard et Malesherbes ne savaient rien de tout cela. Ils possédaient d'autres données que celles qui se trouvaient sous leurs yeux. Le 10 mai 1752 Guettard présenta une communication à l'Académie des sciences et étonna grandement l'assemblée en affirmant qu'au cœur de la France il y avait eu jadis des volcans actifs. Son raisonnement était inattaquable et son rapport, intitulé « Mémoire sur certaines montagnes de France qui ont été autrefois des volcans », marqua le début de l'étude scientifique sérieuse du rôle des volcans dans le mécanisme de notre planète.

                                           

Jean-Etienne Guettard et son travail

La communication de Guettard donna naissance à l'une des deux grandes écoles entre lesquelles les géologues allaient rester divisés jusqu'au début du XIXème siècle. La question qui les séparait était celle de l'origine du granite et du basalte, deux roches qui forment une grande partie de l'écorce terrestre. Les plutoniens, héritiers direct de Guettard, attribuaient leur formation au « feu central », et la découverte que leur chef de file venait d'effectuer en Auvergne constituait un premier pas dans l'élaboration de leur théorie.

Le neptuniens, pour leur part, continuaient de croire que la physionomie actuelle de la terre remonte à l'époque reculée où un immense océan la recouvrait entièrement. Ils ne faisaient pas d'exception pour le basalte et le granite qui, selon eux, s'étaient formés par précipitation chimique – processus par lequel des solides se forment au sein d'un liquide à la manière dont le tartre se dépose à la longue au fond d'une bouilloire.

Les deux écoles se rejoignaient néanmoins sur un point : les roches sédimentaires s'étaient formées en milieu aqueux au fond des lacs et océans.

Les neptuniens étaient, au début, de loin les plus nombreux. D'une part leur théorie s'accordait plus facilement avec le récit biblique de la Création. D'autre part, le dossier des plutoniens, qui s'appuyait sur la découverte de Guettard dans les monts d'Auvergne, souffrait d'un vice rédhibitoire. Bien que celui-ci ait établi de manière irréfutable l'origine de la pierre noire que l'on trouve disséminée en abondance dans cette région, il n'avait pas vu le lien entre la lave et une multitude d'autres formations rocheuses existant dans toute l'Europe, que les autres géologues eux-mêmes désignaient sous le nom de basalte.

On allait découvrir plus tard que la lave est elle aussi un basalte et que tous les basaltes sont d'origine volcanique. Ainsi le plutonisme allait-il triompher et le rôle essentiel des volcans dans la formation de l'écorce terrestre serait-il reconnu de tous. Mais pour cela il allait falloir attendre les travaux des chercheurs plus jeunes que Guettard qui, pour sa part, se satisfaisait de la thèse neptunienne selon laquelle les basaltes étaient d'origine sédimentaire.

Son erreur se comprend car le basalte se trouve souvent au milieu de roches incontestablement sédimentaires et en des lieux où toute trace de volcan a depuis longtemps disparu. Bien que toujours d'un grain serré, le basalte se présente sous des formes variées et des couleurs diverses, allant du jaune au noir en passant par le brun et le vert, et c'est ce qui conduisit Guettard à admettre que le basalte est très différent de la lave d'Auvergne.

Cette conviction erronée qui l'anima presque jusqu'à la fin de ses jours se trouve illustrée par le débat qui s'instaura à propos d'une curieuse formation géologique située sur la bordure occidentale de la région des puys. Il s'agit d'un piton entièrement composé d'une multitude de dalles hexagonales d'environ 30 centimètres entre pans, entassées les unes sur les autres en colonnes atteignant plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Pendant des siècles, les habitants de la région, tout en considérant avec une crainte superstitieuse la régularité apparemment surnaturelle de la Roche Tuilière, nom donné à ce piston, s'étaient néanmoins servi des dalles qui le composaient comme pierres de pavage ou de couverture.

A l'poque de Guettard, on avançait diverses explications, plus ou moins plausibles ou biscornues. Selon l'une d'elles, il s'agissait des restes pétrifiés d'une forêt de bambous ; selon une autre, chaque dalle était un gigantesque cristal qui s'était constitué à la manière dont se forment les gemmes ; mais l'opinion la plus communément répandue était que cette formation résultait d'une façon ou d'une autre d'un processus de sédimentation.

C'est ce dont Guettard, en particulier, était fermement convaincu, malgré les arguments de plus en plus solides de ses propres disciples en faveur de l'origine volcanique de la Roche Tuilière. Sa conviction reposait sur le fait que la roche en question était de couleur gris-vert et non pas noire comme la lave en Auvergne. En outre, elle se trouvait éloignée de tout vestige de cône volcanique ou de cratère, et sa structure surprenante la distinguait encore plus nettement d'une coulée de lave ordinaire. « Comment se peut-il, demandait Guettard dans une lettre à un collègue naturaliste, si ces colonnes se sont formées au feu violent d'un volcan, que le granite qui les supporte ne se soit pas fondu avec elles ? »

La question était pertinente et c'est longtemps après la première enquête menée par Guettard dans les monts d'Auvergne que les géologues comprirent que les orgues basaltiques, comme on les appelle aujourd'hui, s'étaient formées par intrusion de coulées de lave dans des formations granitiques préexistantes. Le basalte et le granite sont tous deux des roches ignées constituées par la solidification de matières en fusion, mais le basalte se refroidit trop vite pour fondre le granite de sorte que la surface de contact entre les deux reste nettement définie. En fait,

C'est précisément la surface froide du granite qui est à l'origine du processus d'assemblage en colonne.

En se refroidissant la coulée de lave se rétracte, mais son élasticité n'est pas suffisante pour permettre à une telle masse, couvrant parfois des dizaines d'hectares, de se tasser selon un axe unique. En diminuant de volume, elle se divise en une multitude de prismes verticaux présentant une section hexagonale de forme étonnamment régulière. Ces prismes se dressent, étroitement serrés, sur toute l'épaisseur de la coulée, semblable à des tuyaux d'orgue, et, à la Roche Tuilière, des fissures horizontales, également causées par le refroidissement, les ont découpés en une série uniforme de « tuiles ».

A cause de l'incapacité de Guettard à expliquer la nature complexe des orgues basaltiques et de l'erreur plus fondamentale consistant à assimiler le basalte à une roche sédimentaire, la théorie générale du plutonisme devenait de plus en plus difficile à défendre. Dans les dernières années de sa vie, Guettard fut affligé d'un mal invalidant, la narcolepsie, caractérisé par de brusques et irrésistibles accès de sommeil. Il vécut jusqu'en 1785, continuant cependant d'assister régulièrement aux séances de l'Académie des Sciences tant qu'il fut capable de se déplacer. Quelque temps avant son décès, l'origine éruptive du basalte lui avait été démontrée par un autre français qui, comme lui, aurait à batailler pendant de longues années pour faire admettre sa thèse.

Nicolas Desmarest (1725 – 1815)  était un fonctionnaire discret et modeste, curieux de géologie. C'était devenu chez lui une passion telle que ses amis disaient en plaisantant qu'il aurait volontiers brisé la plus belle des sculptures rien que pour en examiner le marbre. Ses expéditions sur le terrain, il les accomplissait à pied, emportant un fromage pour toute nourriture et sa literie pour pouvoir passer la nuit sur place après une journée d'exploration.

La géologie de l'Auvergne était pour lui une sorte de puzzle, un jeu de patience vaste et compliqué. Alors que Guettard avait saisi le secret de la région grâce à une inspiration soudaine, Desmarest procédait d'une manière plus conforme à la démarche habituelle du géologue. En s'appliquant à assembler méthodiquement un grand nombre d'observations, il parvint à reconstituer la morphologie exacte des coulées de lave et à expliquer comment les sombres masses de basalte avaient émergé des profondeurs de la terre.

Puis, faisant un pas de plus, il compara les roches des monts d'Auvergne qu'il savait d'une incontestable origine volcanique à des roches similaires d'autres provenances et réussit ainsi à localiser avec exactitude s'autres régions d'Europe qui avaient été autrefois le théâtre d'une activité volcanique certaine, mais où ne subsistaient plus ni cônes ni coulées de lave.

Peu à peu se dégageait l'image d'un continent parsemé d'anciens volcans mais, malheureusement pour Desmarest et les tenants du plutonisme il se trouve qu'une des formations géologiques les plus intéressantes, un piton basaltique des monts Métallifères en Allemagne, le Scheibenberg, était un des buts d'excursion favoris du professeur Abraham Gottlob Werner (1749 – 1817), inspecteur des collections à l'Académie des Mines de Freiberg, une localité voisine.

 

Abraham Gottlob Werner 

Aucun savant n'a jamais, sans doute, exercé une telle domination dans sa discipline que Werner. Ses cours de « géognosie » attiraient des étudiants de toute l'Europe. Sous son impulsion vigoureuse, l'Académie des Mines de Freiberg, de simple école technique de province, était devenue l'un des hauts lieux culturels de l'Europe. Pendant près de trente ans, vers la fin du XVIIIème siècle, il réussit, par la seule force de sa personnalité, à triompher des intuitions géniales de Guettard et Desmarest.

Le cours magistral était le mode d'expression qui lui convenait le mieux. Il dédaignait la plume, ne publiait que rarement et ne répondait jamais aux lettres qui lui étaient adressées. Celle que lui envoya l'Académie des Sciences française pour lui proposer d'en devenir membre correspondant resta non décachetée pendant des années parce qu'il craignait, s'il l'ouvrait, d'avoir à y répondre par écrit. Mais, derrière son pupitre, c'était un homme inspiré et les notes volumineuses que prenaient ses élèves pendant ses cours étaient recopiées et communiquées aux étudiants d'autres universités.

Ce « pape de la science », comme il fut appelé, trônait derrière une table sur laquelle il avait disposé quelques échantillons et tenait son auditoire sous le charme en développant des théories sur l'origine des roches, leur histoire, leur incidence sur la civilisation et leur signification philosophique. La cosmologie de Werner ne laissait aucune place aux volcans ; comme les autres neptuniens, il croyait que toutes les roches de l'écorce terrestre s'étaient solidifiées à partir de l'océan primordial qu'il appelait le « solvant universel ». Il expliquait comment les différentes sortes de rochers s'étaient déposés l'une après l'autre tout autour du globe et comment, à la suite d'un second Déluge, elles s'étaient disloquées et empilées pour former les montagnes que nous connaissons.

Les volcans, selon lui, étaient des phénomènes récents et superficiels. Les flammes qu'ils crachaient provenaient tout simplement des veines de houille souterraines qui avaient pris feu. Le basalte, la pierre ponce, l'obsidienne, comme toutes les autres roches d'ailleurs, étaient d'origine aquatique ; de même que la lave, simple roche marine que le charbon, en brûlant, avait fait fondre. Werner estimait que les volcans ne méritaient pas une étude géologique sérieuse.

Son empire intellectuel finit pourtant par sombrer et, par un juste retour des choses, c'est sur un écueil de basalte qu'il échoua. Cette pierre sombre qui avait dérouté Guettard et fasciné Desmarest abondait dans les environs de Freiberg. Elle était tout particulièrement accessible sur le Scheibenberg où Werner, au cours de ses explorations, aimait à exposer ses idées concernant son origine sédimentaire. En 1788, dans un des rares mémoires scientifiques qu'il laissa, il se servit de l'affleurement du Scheibenberg, constitué par une couche de grès surmontée de plusieurs couches de basalte, pour illustrer la thèse selon laquelle, partout dans le monde, le basalte devait être moins ancien que le grès. « Tout basalte, écrivait-il, s'est constitué par sédimentation dans un passé relativement récent. Il constituait à l'origine une seule couche très épaisse et très étendue qui, par la suite, se disloqua et dont il ne reste que quelques fragments. »

Si Werner, lorsqu'il se déplaçait, ne s'éloignait guère de Freiberg, il n'en allait pas de même pour ses élèves, parmi lesquels figuraient quelques-uns des meilleurs esprits scientifiques de l'époque, qui désiraient ardemment prouver le bien-fondé de ses théories. Si bien que, comme l'a écrit Georges Cuvier quelques années plus tard, « partout la nature se trouvait interrogée en son nom ». Toutefois la nature ne s'estimait nullement tenue de conformer son comportement aux théories du « pape de la science » et ses élèves les plus perspicaces ne tardèrent pas à remarquer certaines divergences entre elles et la réalité. Une fois de plus, l'Auvergne avec ses basaltes d'origine indiscutablement volcanique allait être le terrain d'affrontements passionnés entre écoles rivales.

En 1803, l'élève le plus estimé de Werner, un jeune géologue français du nom de Jean François d'Aubuisson de Voisins (1762 – 1841), passa plusieurs semaines dans la région des puys afin d'y étudier les formations basaltiques. A l'instar de Desmarest, il suivit à la trace les coulées de lave depuis les cratères des anciens volcans jusque dans les vallées et constata à plusieurs reprises qu'elles étaient en basalte. « Les faits que j'ai observés, écrivit-il, étaient trop évidents pour qu'on pût s'y méprendre. La vérité s'est révélée trop clairement à mes yeux. Il est hors de doute que l'on trouve en Auvergne des basaltes d'origine volcanique. »

Dans la décennie qui suivit la conversion d'Aubuisson, deux autres protégés de Werner, parmi les plus connus, rompirent avec leur maître. A la suite de voyages d'étude en Auvergne, le géologue Leopold von Buch (1774 – 1853) et l'explorateur Alexander von Humboldt (1769 – 1859) se rallièrent à la théorie de Desmarest sur l'origine volcanique des basaltes de cette région, ouvrant ainsi une importante brèche dans le rang des neptuniens. Mais bien que conscients de l'importance du rôle joué par les volcans dans la formation de l'écorce terrestre, les tenants du plutonisme en France demeuraient incapables d'en expliquer l'apparition et le fonctionnement. Pour cette raison, le neptunisme survécut ; la théorie de Werner, malgré ses défauts, offrait l'énorme avantage d'apporter une explication complète de la formation de toutes les roches affleurant la surface de la terre. Les plutoniens en savaient assez pour comprendre qu'elle était erronée, mais n'avaient aucune autre théorie générale à lui opposer.

Et pourtant, il existait depuis 1785 une ingénieuse théorie de la terre qui pouvait aisément prendre en compte ce que les plutoniens avaient appris sur l'Auvergne et ses basaltes. Elle était si bien conçue qu'une fois connue elle servirait de cadre général à la géologie moderne.

Au printemps de l'année 1802, le philosophe et naturaliste John Playfair (1748 – 1819) publia un travail résumant les observations géologiques d'un de ses amis, un écossais du nom de James Hutton (1726 – 1797), mort cinq ans plus tôt après une vie d'études consacrée aux cairns et aux rochers de sa terre natale. Il avait publié ses recherches mais dans un journal tellement confidentiel et dans un style si prolixe qu'elles étaient passés généralement inaperçues. Playfair remania le texte de Hutton en y introduisant un ordre plus logique et en transformant ses phrases contournées en une prose intelligible. Il en résulta un ouvrage intitulé Illustrations of the Huttonian Theory of the Earth qui fit sortir l'œuvre de Hutton de l'obscurité et lui conféra la valeur d'un événement scientifique.

James Hutton

En 1785, lors d'une expédition au cœur des monts Grampians en Ecosse, non loin de la rivière Tilt, Hutton avait découvert du granite rouge traversant une couche calcaire. Il fut à ce point ravi de sa découverte que ses compagnons crurent d'abord qu'il avait trouvé de l'or. Mais, à ses yeux, ce qu'il avait trouvé était bien plus précieux encore.

Werner soutenait que les roches de l'écorce terrestre s'étaient déposées l'une après l'autre en commençant par le granite, la plus ancienne. Le calcaire, d'après lui, était une des roches les plus récentes. Or Hutton venait de découvrir la preuve du contraire. Il avait sous les yeux une formation granitique qui avait perforé la couche calcaire et l'avait disloquée. Ce phénomène signifiait que le granite était la roche la plus récente, le granite en fusion ayant dû se frayer un passage à travers l'assise calcaire.

Sachant qu'aucune source de chaleur à la surface du globe n'aurait suffit à faire fondre une telle masse rocheuse, Hutton imagina qu'à l'intérieur de la terre se trouvait « une masse fluide, fondue, mais non modifiée par l'action de la chaleur ». Par « non modifiée », il entendait que les composants des roches ignées, le basalte ou le granite, étaient présent dans la solution. Prudemment, il s'en tint là et revint à ce qu'il voyait à la surface.

Mais à la conception neptunienne de l'océan primordial et de ses dépôts immuables s'opposait désormais une conception d'ensemble prémonitoire que Hutton exposait comme suit : la terre est un système dynamique complexe dont la prodigieuse chaleur interne maintient la surface dans un état d'agitation constante. D'autre part, les forces d'érosion réduisent les roches anciennes en cailloux et en sables qui finissent par former les grès et les conglomérats. La matière organique – coquillages, ossements, feuilles d'arbres – s'enfoncent peu à peu dans le sol ou s'accumule au fond des mers et devient des roches telles que le calcaire ou la houille. A mesure que ces lits de roches s'enfoncent sous une accumulation continue de sédiments, la chaleur et la pression les transforment en roches plus denses et cristallines telles le marbre ou le schiste.

Le processus se poursuivant, la chaleur et la pression deviennent si fortes que ces roches métamorphiques fondent partiellement et se mêlent à d'autres substances en fusion déjà à l'intérieur de la terre. Là où la couche supérieure se fissure, le fluide monte et se solidifie, donnant des roches ignées telles que le granite et le basalte qui forment souvent d'épaisses murailles, ou dykes, comme dans le cas du granite rouge découvert par Hutton dans les monts Grampians.

Au cours de sa montée, le matériau en fusion s'épanche latéralement chaque fois que c'est possible entre les couches de sédiments et se refroidit sous terre en larges nappes de roches ignées appelées filons-couches. Puis l'érosion à la surface use la couche supérieure, mettant à nu les filons qui, à leur tour, se dégradent en sables et en grès et ainsi le cycle recommence.

Il existe une exception toutefois et elle est fort importante : il arrive que la matière en fusion, au cours de son ascension, perce la surface du sol et jaillisse dans l'atmosphère. On voit là, pour la première fois, une théorie qui accorde aux volcans un rôle certain et admissible dans la formation de l'écorce terrestre. « Le volcan n'a pas été fait pour effrayer les esprits superstitieux et les plonger dans des accès de piété et de dévotion, écrivait Hutton ? Il doit être considéré comme l'évent d'une fournaise souterraine. »

Hutton concevait le volcan comme une sorte de soupape d'échappement pour les matières comprimées à l'intérieur de la terre. De nos jours, la science s'inscrit en faux sur ce point précis mais, dans les grandes lignes, sa théorie demeure valable. L'écorce terrestre est mouvante, même si la lenteur de ses mouvements nous les rend imperceptibles, et les processus de dégradation et de reconstitution s'imbriquent étroitement au sein d'un vaste système dynamique.

Toutefois la théorie de Hutton ne s'appliquait qu'à ce qui se passait au sein de la terre et, si géniale qu'elle fût, elle ne contenait rien qui pût préparer les esprits aux effets dévastateurs des éruptions volcaniques qui allaient se succéder.


08/01/2012
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